15 mois sans sortir : quand la "protection" devient maltraitance
La récente enquête sur le décès de Mark Miller, une personne hospitalisée à l’Institut Philippe-Pinel, reflète les conditions dans lesquelles il vivait en psychiatrie et les divers enjeux entourant la garde en établissement lorsqu’une personne présente un danger pour soi ou autrui.
L’Avant-garde, groupe d’entraide, d’éducation populaire et de défense des droits en santé mentale ainsi qu’hébergement en itinérance, dénonce et milite contre l’adoption de mesures de contention et le non-respect des droits de la personne lorsque les individus sont sous P-38. Nous mettons de l’avant l’adoption de mesures alternatives et soulignons toute l’importance d’agir en prévention avec les personnes.
Tel qu’indiqué dans l’enquête parue dans La Presse, Mark Miller était confiné dans sa chambre, attaché sur une chaise ou menotté lors de ses déplacements sous prétexte de sécuriser les autres personnes puisque qu’il aurait été « imprévisible, impulsif et agressif ». Il lui était interdit d’avoir des contacts, notamment avec sa sœur, qui était pourtant une personne significative dans sa vie. Cette dernière n’aurait pu affirmer et n’a pas été témoin de comportements violents et dangereux de sa part. Il s’est vu refuser le droit de sortir à l’extérieur pendant 15 mois et de respirer l’air frais pendant plus d’un an.
Comment de telles mesures, portant atteinte à la liberté et à l’intégrité de la personne, peuvent-elles favoriser un retour vers un mieux-être? Tout être humain qui est confiné entre quatre murs, privé de contacts sociaux, attaché et qui se fait imposer des choix est plus susceptible d’adopter des comportements violents. En effet, tel que démontre l’étude de Stéphanie Mercier, même lorsqu’elles sont bien appliquées, les contentions augmentent la détresse psychologique des personnes, en plus d’avoir son lot de répercussions sur le bien-être physique et psychologique. Elles entrainent diverses conséquences quant au respect des droits et à l’établissement du lien de confiance entre la personne hospitalisée et le personnel.
Nos structures sociétales favorisent l’adoption de pratiques dites paternalistes, dans l’objectif d’agir pour le bien des personnes, sans prendre en compte leurs besoins ni leur redonner le pouvoir dans leur propre vie. La sœur de M. Miller n’était pas impliquée dans le suivi, s’il en avait un dans son cas, puisque son décès serait causé par une interaction médicamenteuse. Les personnes significatives sont laissées à eux-mêmes et ne sont pas informées et outillées sur comment agir avec une personne en psychose ou désorganisée. Dans la vie de M. Miller, il s’agissait de sa sœur, qui elle dénonce cet enjeu dans l’enquête de La Presse.
C’est dans la foulé de cet événement, du processus de réforme de la Loi P-38 par le gouvernement du Québec et des développements quant à plusieurs événements, tels que le procès de M. St-Amand, que l’Avant-garde publie son mémoire dans l’optique d’apporter diverses alternatives prometteuses à l’hospitalisation, aux contentions et à la surmédication.
Si l’objectif est d’aider et accompagner les personnes tout en prévenant les passages à l’acte, une réforme en profondeur est nécessaire afin de revoir les procédures et modalités d’application de cette loi exceptionnelle et s’assurer que ces dernières soient conformes à un processus d’intervention respectueux de la dignité humaine et des droits fondamentaux. L'enfermement et les contentions multiples (chimique, psychologique, physique, architecturales) sont aujourd’hui, en 2025, plus archaïques que jamais. Les contentions devraient aider les personnes et non occasionner des traumatismes. En conséquence, les personnes perdent confiance à notre système de santé. Plusieurs recherches qui ne cessent de démontrer les impacts négatifs dans la vie de la personne. Il est fort important d’adopter des mesures préventives auprès des personnes dès que des signes de désorganisation apparaissent. La prescription de médication est trop souvent utilisée comme intervention pour tenter de modifier les comportements perçus comme dérangeants en société. Une situation comme il s’est produit avec Mark Miller, ainsi que plusieurs autres, auraient pu être évitées.
Restez à l’affut. Le 15 mai prochain, 8e Journée Nationale « Non aux mesures de contrôle », nous effectuerons le lancement de notre mémoire rédigé dans le cadre de la réforme de la Loi P-38.
- Raphaël Guimond, Intervenant volet communautaire de l'Avant-garde.
Références :
Duchaine, G. (14 avril 2025). Pour venir modifier les comportements dérangeants en société. La Presse. Récupéré le 02 mai 2025 de : https://www.lapresse.ca/actualites/patient-mort-a-l-institut-philippe-pinel/plus-d-un-an-sans-sortir-dehors/2025-04-14/j-etais-desesperee-je-voulais-que-mon-frere-respire-l-air-frais.php
Lagacé, P. (14 avril 2025). Sans sortie pendant plus de quinze mois: un patient meurt à l’Institut Pinel. 98.5. Récupéré le 02 mai 2025 de : https://www.985fm.ca/audio/691975/sans-sortie-pendant-plus-de-quinze-mois-un-patient-meurt-a-l-institut-pinel
Pineda, A., Vallet, S. (21 avril 2025). Des proches laissés à eux-mêmes. Le Devoir. Récupéré le 02 mai 2025 de : https://www.ledevoir.com/societe/justice/869752/non-responsabilite-criminelle-gens-laisses-eux-memes?utm_source=recirculation&utm_medium=hyperlien&utm_campaign=boite_extra
Mercier, S. (2020) Contentions chimiques en psychiatrie : une étude phénoménologique de l’expérience vécue par les patients. (Thèse de maitrise, Université d’Ottawa). Récupéré le 02 mai 2025 de : https://ruor.uottawa.ca/items/f822d693-144a-441c-805f-dc251b8fcd2b